extraits de Papillotes (poésie, livre-objet, 2020)
Pétard
si on les laissait faire
les routes mèneraient n'importe où
heureusement, les sens interdits
Délice perlé
sans doute je ne sais pas nager
mais le jour où j'irai à la mer
elle,
saura
Fondant lait
discrètement la porte bailla sur ses gonds lorsqu'il
passa
et puis se
rassoupit
Miel
amande
la brise brame au clair de
lune
et pleure à me fendre les yeux
je disparais dans la nuit brune
mon ombre suit, et je suis vieux
Riz
soufflé
se regarder dans un parquet
ciré
et oublier de
danser
extraits de Facéties (poésie, livre-objet, 2018 et 2019)
L’Homme de boue
a la bougeotte
dans son bourbier s’agite
bouffon bouffi
vide
L’humain peine
comme bourricot dans la bourrasque
ses bonds bornés
et boulimiques
sèment un boucan de
brute épaisse
éructent en boucles grasses...
On avait ce soir-là pendu la lune
sur les fils à linge
Elle éclairait étrange
quelques queues de lucioles réunies
au jardin
en conciliabule
chuintant
et plus loin posait
un grand drap
blanc
rond
sur le pré
Les machinistes célestes ne font pas
toujours attention à ce qu'ils font
et c'est fort ennuyeux
car...
Un jour vint où je sus marcher
sur l'eau
je pris peur et
retournai travailler
au bureau
Il se promène souvent le dimanche
sur un vélocipédant qu'on en rit
pédalant, c'con d'Henri
déchaîné, déraillé, dans le vide
Le lendemain,
tables de multicomplications
vingt cancres, là
face à lui
farce
à trac d'être punis
Il a le plexus scolaire, le prof
et rentre en transe de déception
il en pète des élastiques, à force
d'extension
musculaire de rien
Il n’en peut plus...
extraits de La Croque-Monsieur (nouvelles)
Vous…murmure-t-il
Il me dit vous en me branlant le con, gentiment, sans passion. Vous avez un corps superbe, je veux dire, pour votre âge. Il a, lui, la peau charpentée et tendre, laiteuse au ventre, une peau de blond qui doit éclater au premier soleil, il a juste ce qu’il faut de poils aux poignets et sur les phalanges pour me faire craquer. Déshabillez-vous, a-t-il enjoint, que je vous masse les reins, déshabillez-moi, ai-je quémandé en enlevant finalement moi-même tout élément superflu au dit massage.
Apparemment, nous n’avons pas les mêmes notions d’anatomie mais ...
Dieu bénisse les secrétaires !
[…] Les Eminents passent, pléniventripotentiaires, incomplets sombres cravatés, suivis des traducteurs en bulles de chewing-gum, les chauffeurs poursuivent leur propre regard indifférent à travers les trous des serrures des limousines. Voici que nous approchons maintenant de l’Alligator Gai, voici que nous sommes arrivés à l’Alligator Gai. Entrent les Eminents, je vous rends l’antenne, à vous les studios !
Suivent les secrétaires. Restent dehors les chauffeurs à casquettes, condamnés à manger des sandwiches, jabotant pour la foule. Les journalistes courent en tous sens pour saisir des miettes. Effets de plume, effets de glotte, ce sont les chauffeurs des voitures officielles qui font la chronique.
Les Eminents maintenant assis parlent et mangent et se sentent bien dans leur assiette. Le cristal des verres siffle, et cliquettent les couverts. Quelques boutons de chemises discrètement craquent, qui de cou, qui de bedaine. Vestons tombés, narine pincée. Les traducteurs traduisent bien ce qu’ils peuvent.
Dehors la foule : …et ron… et ron...
Dedans, le débat enfle, brûle et bourdonne de munster vineux, d’haleine violacée, de sueur politique...
Un homme à toiles
Il flotte et rature, frôle et conjure. Il bégaie et révèle, il respire. Il effiloche et couche l’huile, il éprouve. Tâtonne du bout des doigts. Eperdu, il se trouve. Son souffle rauque colle à la toile et secoue le néant. Mise en chair, par son souffle seul.
A courbes floues, demi enfouies, naît peu à peu le bas d’un dos. Adam se penche, s’agenouille et regarde. Regarde.
Puis se précipite. Etale la couleur de ses lèvres, précise les contours à grandes coulées enragées, leur insuffle la vie. Sa joue se fait pesante en remontant sur les hanches, en peaufine le grain jusqu’à ce qu’il devienne dur et mobile, obsède les reins jusqu’à ce qu’ils en vibrent, jusqu’à la transparence. D’un doigt ferme Adam repousse la croûte de plâtre sombre, inutile stigmate d’un ancien chaos, se fraie un chemin, les lèvres toujours pressées sur la peinture, esquisse une taille. Il y modèle des plis, sculpte et galbe d’autres replis plus flous pour y perdre sa langue, s’attarde, mord la couleur. Ses mains exigent et brusquent, glissent, palette tableau, toile pigments, de ce corps à son rêve. Ses mains rêches façonnent, soupèsent, rehaussent, caressent deux petits seins fermes à peine bombés, à peine tachés de brun rosé. Adam retouche au frisson le creux d’une aisselle, l’accuse d’un baiser, et se laisse envahir là par le parfum d’huile et de sueur mêlées.
– Ma belle, ma toute belle...
L'andouillette de loup millefleurs
On n’eût pu dire qui avait ouvert le feu, pas un mot d’explication. Peste en leur ménage, hypocrisie et rages de dents.
Pour elle ce fut l’enfer, elle farda sa langueur, elle s’étiolait du manque, n’osait même plus penser, de peur qu’il l’entendît. Elle augmenta peu à peu le concombre.
Seul demeurait sans réserve l’extraordinaire plaisir qu’elle éprouvait à lui préparer, chaque jeudi, le plat qu’il préférait : une andouillette de loup mille-fleurs.
Louis René, lui, se mit à lire énormément, seul dans sa bibliothèque anglaise. Evanescent, d’humeur chagrine, aussi figé et muet que le marronnier reflété par la carrosserie de sa Dodge bordeaux parquée lustrée devant le perron de leur demeure. Qui aurait vu sa face mélancoliquement sèche aurait été tenté de lui porter secours, par crainte d’un décès prochain certain. Or ce n’était que le stigmate d’un foie paresseux doublé d’acrimonie persistante, qu’il cultivait avec soin et grandeur.
Jusqu’à ce jour, jeudi, andouillette de loup mille-fleurs.
Enveloppez chaque andouillette d’aluminium beurré. Disposez dans un plat de terre. Mettez à cuire à four modéré...